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« Une intelligence alternative » (article sur l’autisme et l’Autistan par le journal belge « L’Echo »)

Article original : https://www.lecho.be/entreprises/general/une-intelligence-alternative/10009078.html


REPORTAGE

Une intelligence alternative

Autistes, Asperger, haut potentiel, neurodivergent, autant de termes pour définir des personnes atypiques, dotées d’une forme d’intelligence alternative. Des compétences trop ignorées par les entreprises.

Parlant de « rafle » pour qualifier l’internement des autistes en institution ou prévoyant un « détail de l’histoire » en évoquant la tentation d’eugénisme qui pourrait accompagner la détection de l’autisme in utero, Hugo Horiot pose le ton. Tout comme le titre de son livre: « Autisme, j’accuse ». « C’est un pamphlet« , assume-t-il. Un langage choc pour « lutter contre la pensée unique« .

Lui-même diagnostiqué autiste il y a plus de 35 ans, Horiot s’insurge et provoque pour porter la voix des siens, entendez les autistes ou les Asperger. Car ils sont nombreux (de plus en plus d’ailleurs, grâce à un meilleur diagnostic), ces atypiques, à revendiquer et défendre leur différence comme l’ont fait par ailleurs, les personnes à mobilité réduite, les homosexuels ou les personnes de couleur. « La démarche est similaire, poursuit Horiot. Il y a à l’égard de notre communauté une forme de racisme cognitif. Il est temps que le Spectre se réveille! » 

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Autisme: J’accuse! – C à Vous – 29/03/2018
 

Le Spectre? De plus en plus reconnu comme une spécificité de type génétique, l’autisme peut prendre un large spectre de nuances différentes.

Pour faire simple, là où, dans la petite enfance, le cerveau typique commencera à filtrer et sérier les informations qu’il reçoit, celui de l’atypique ne le fait pas et développe ses connexions différemment. Cette masse d’informations génère évidemment des désagréments et des handicaps. Mais parallèlement, les personnes atypiques développent aussi des compétences extrêmement pointues dans certains domaines, souvent inversement proportionnelles aux handicaps comportementaux.

Entre l’individu mutique au regard fuyant, qui ne peut réprimer ses balancements, le taiseux qui fuit autant que possible les relations sociales et celui qui éprouve « seulement » une hypersensibilité au bruit ou à la lumière, on parle du spectre de l’autisme. De quoi en faire, pour Horiot et certains de ses pairs, l’idée d’une organisation informelle, en clin d’œil à James Bond.

Josef Schovanec préfère la notion d’Autistan. Multidiplômé, parlant 7 langues, grand voyageur et écrivain, il donne régulièrement ses « leçons de choses » de sa voix métallique et monocorde dans des chroniques sur Europe 1. « L’Autistan n’est pas un pays imaginaire comme celui de Peter Pan. C’est un concept qui permet de rassembler tous nos pairs sous un même vocable. » Pour le folklore, l’Autistan a son drapeau, barré de bandes bleues (la couleur qui apaise les autistes) et blanches, frappé d’un prisme de 24 couleurs pour montrer toute la diversité du profil.

Schovanec se veut aussi militant qu’Horiot. Dans une autre forme de langage, plus policé, mais le fond est le même. « La société actuelle se durcit terriblement. Il y a beaucoup moins de place pour les atypiques. Dans les temps plus anciens, il y avait des bergers, des ermites, des bricoleurs de génie penchés sur leur établi sans un mot. Il y avait une place pour les atypiques. Aujourd’hui, parce que nous sommes plus asociaux que d’autres, nous vivons parfois dans des conditions très dures et très précaires.« 

Fier?

François Delcoux est « ambassadeur d’Autistan » en Belgique, comme Hugo Horiot l’est en France. Lorsque nous le rencontrons, sa porte s’ouvre avant même que nous ayons trouvé la sonnette. « J’avais entendu une voiture que je ne connaissais pas. Je me doutais que c’était vous« , dit-il avec un sourire chaleureux. La maison est un chantier permanent dans lequel il faut se frayer un passage. « Cela fait partie de la condition d’autiste« , reconnaît Delcoux, qui subsiste grâce à un revenu minimum d’insertion (RMI). Lui aussi passe au-dessus des difficultés qu’il rencontre pour donner des conférences et porter la parole des autistes. « Fier d’être autiste? Cela n’a pas de sens. On est comme on naît. » Autiste et fier de l’être… l’expression volontiers caricaturale avait fait bondir Schovanec. « Peut-on être fier de mesurer 1,90 m, d’être blond ou Belge. Ce sont des notions qui nous sont totalement étrangères. »

En pratique

S’adapter pour intégrer

Aspertise place ses consultants directement chez ses clients. « Cela demande un travail d’évangélisation des clients. C’est important pour le client et plus encore pour l’employé« , commente Frédéric Vezon, fondateur de la société de consultance informatique.

Quelques trucs et astuces pour réussir l’intégration d’une personne porteuse du spectre autistique.

  • L’autiste sait mieux que quiconque ce qui lui convient, il faut donc, si possible, répondre à son souhait.
  • La personne atypique est sensible à son environnement, il vaut donc mieux lui laisser choisir son emplacement de travail, surtout en open space. Il faudra également le laisser travailler « dans sa bulle » au sens propre, avec un casque sur les oreilles par exemple, qu’au sens figuré.
  • Afin d’éviter des stress inutiles, il faut respecter ses habitudes.
  • Concernant les horaires, les personnes atypiques peuvent être hyperpointilleuses ou au contraire passer complètement à travers… jusqu’à dormir au travail. Les membres du « Spectre » ne sont en général pas sensibles à la hiérarchie. Inutile donc de la faire ressentir. Le télétravail représente une réelle opportunité, autant y recourir autant que possible.
  • Enfin, il sera utile de mettre en place une personne-ressource, qui sera le premier interlocuteur de la personne atypique pour résoudre les problèmes quotidiens, sans pour autant tomber dans l’infantilisation. L’aide devra s’adapter aux besoins réels.

Pour décrire le fonctionnement du cerveau autistique, on parle dès lors d’une autre forme d’intelligence ou de neurodivergence par rapport aux neurotypiques, censés représenter la norme. « L’autisme n’a rien à voir avec Rain Man. Ce personnage présente d’ailleurs un syndrome totalement différent. Nous ne sommes pas des singes savants!« , affirme Schovanec. Mais cette différence confère aux atypiques une autre perception de la réalité et une autre perspective sur les problèmes, qui couvre les angles morts laissés par les neurotypiques. « C’est assez flagrant en matière de cybersécurité par exemple. La personne atypique verra la faille que les neurotypiques n’avaient pas vue. Et les hackers ont souvent un côté atypique…« , fait remarquer Frédéric Vezon, fondateur de Aspertise, qui emploie une quinzaine de personnes atypiques en consultance informatique.

Compétences et qualités

C’est là tout le message que veulent faire passer les militants de la cause autistique. À force de reléguer les autistes, Asperger et autres neurodivergents dans la case « handicapés à assister » de notre société très normée, on se prive de compétences et de qualités humaines appréciables dans le milieu professionnel. Des grands créateurs ou inventeurs, qui ont révolutionné le monde, sont aujourd’hui reconnus comme présentant des troubles liés au spectre autistique: Nikola TeslaEinsteinEdisonNewton

Julie Mousty a eu une scolarité particulièrement chaotique, interrompue en milieu de secondaire. Ce qui ne l’empêche nullement de se passionner pour la psychologie du comportement. « Lorsque je suis dans mes bouquins, je suis capable d’y rester des heures durant, littéralement sans lever le nez. C’est évidemment un peu compliqué quand il faut se conformer à un horaire ou à une vie sociale, mais du coup je peux assimiler énormément de matière en peu de temps« , constate-t-elle.

C’est l’une des caractéristiques des personnes atypiques: l’hyperfocalisation sur certains centres d’intérêts, parfois très pointus voire incongrus. Mais ce n’est pas la seule.

On pointe également la très grande précision et le souci du détail dans les tâches accomplies. « Vous ne verrez jamais un atypique ajouter un gramme de trop dans une recette, cela peut être précieux dans un secteur comme la chimie par exemple« , note Schovanec. Avec en corollaire, le perfectionnisme qui les pousse à chercher le dernier carat (« ce qui ne va pas nécessairement de pair avec le productivisme…« , avertit Delcoux). Et puis, c’est presqu’un cliché, la propension au calcul et à la programmation informatique.

Schovanec insiste sur d’autres qualités humaines: la probité, la fiabilité, la loyauté… « Nous sommes incapables de dissimulation ou de mensonge. Imaginez un monde où tout le monde adopte le même comportement? Cela manquerait peut-être un peu de filtres, mais n’y gagnerait-on pas?« 

Autant de qualités professionnelles et humaines théoriquement très appréciables sur le marché du travail. Alors pourquoi ne trouve-t-on pas davantage de personnes atypiques dans les entreprises?

Enseignement

« Comment réussir à s’imposer ou ne fût-ce qu’à s’intégrer dans la société lorsque l’on n’a pas le bagage de base, quelle que soit l’intelligence« , s’insurge Schovanec. Le problème débute donc dès l’enseignement.

François Delcoux, « Ambassadeur d’Autistan en Belgique ». Derrière un peu de folklore, un militant de la cause autistique.

Comme Julie Mousty, François Delcoux a suivi une scolarité compliquée dans l’enseignement général. « Lorsque j’ai fait un exposé très documenté sur les dinosaures en 1re primaire, l’institutrice a prévenu mes parents parce que j’avais un vocabulaire trop riche et trop savant pour mon âge. ça a été le début des moqueries et du rejet par mes condisciples« , précise Delcoux.

« Petite, j’ai été qualifiée psychologiquement de débile. Ma mère a lutté pour que je reste dans l’enseignement général. De retard en décrochage, j’ai fini par quitter l’école pour raisons médicales en 2esecondaire« , raconte Mousty.

La difficulté d’intégration commence donc dès le plus jeune âge, parce que l’enseignement n’est pas toujours adapté. l’apprentissage, quand il est possible, se fait donc en solitaire en fonction de ses centres d’intérêts, générant des spécialisations à outrance comme des lacunes béantes. Un apprentissage autonome, alors que la plupart des autistes affichent un QI en dessous de la moyenne. « À moins que les tests classiques de quotient intellectuel ne soient pas adaptés à notre intelligence…« , constate Horiot.

« Il y a une grande divergence d’approche sur la manière d’intégrer les personnes différentes dans l’enseignement. L’Italie pratique un enseignement totalement inclusif; en Belgique, Hasselt est assez en pointe dans ce domaine. Mais cela varie très fort d’une région ou même d’une ville à l’autre« , note encore Schovanec.

Horiot est plus virulent dans son analyse. Pour lui, l’institutionnalisation (le placement) des personnes atypiques relève d’un gigantesque marché. « Pas au sens marketing du terme, où les atypiques constituerait un public cible, mais parce que cette prise en charge, qui n’est pas toujours nécessaire, génère des aides sociales et donc des intérêts financiers énormes!« 

Galère sociale

Dans les faits, pour les atypiques adultes, c’est bien souvent la galère et la dépendance à des allocations sociales. François Delcoux, qui bénéficie d’un RMI, se débat depuis des semaines pour décrocher un emploi rémunéré dans l’ASBL « Autistes en action« , mais cela coince au niveau administratif. « J’ose espérer que cela n’a rien à voir avec mon état d’autiste!« 

« Notre vie? C’est total bordel! On la prend au jour le jour. »
Julie Mousty
 

Julie Mousty dépend de la mutuelle comme handicapée, son mari est au chômage. « Notre vie… C’est total bordel! On la prend au jour le jour. C’est forcément très précaire. Notre but n’est pas de rester dépendants d’un système d’allocation. » À 28 ans, Julie Mousty vient de reprendre des cours pour passer son CESS puis envisage l’université en psycho, avec une spécialisation en troubles du comportement, son sujet de prédilection.

Comment parvenir à monétiser son hyperfocalisation? C’est la question cruciale qui se pose à un autiste qui veut travailler. « Cela ne sert sans doute à rien d’espérer un emploi pour tous. Ce n’est simplement pas toujours possible, mais cela reste le meilleur moyen de s’intégrer dans la société typique. D’avoir un statut dans cette société. Les choses bougent mais pour certains profils plus sociabilisés. C’est d’autant plus dur pour les autres« , constate Schovanec avec une certaine amertume. D’autant que bien souvent, les moqueries que l’on subissait déjà dans les cours d’école se transforment en harcèlement dans le monde du travail. Julie Mousty en a fait la cruelle expérience.

Silicon Valley

Précurseur en la matière, la Silicon Valley cible de plus en plus spécifiquement ce type de profils. Selon Tony Attwood, psychologue spécialisé, cité par Horiot, la Silicon Valley compterait près de 50% d’autistes ou d’Asperger parmi ses ingénieurs. Normal, estime Frédéric Vezon: « La Silicon Valley a pour une bonne part été créée par des profils autistiques. Gates, Jobs, Zuckerberg sont souvent décrits comme des personnes du spectre autistique. La plupart des sociétés de la Silicon Valley ont brisé le modèle hiérarchique et très formaté de l’entreprise, dans lequel l’atypique ne se sent pas bien.« 

En Israël, l’armée recrute également des profils du Spectre, pour l’analyse de données notamment et certaines universités encouragent l’intelligence autistique. On assiste en effet à une poussée du nombre d’atypiques dans les entreprises qui se rendent compte de leur potentiel. « Et cela ne concerne plus seulement les early adopters. On est dans une deuxième phase », note encore le consultant. Une poussée encore très relative puisqu’en France 1% à peine des 400.000 adultes autistes travaillent.

 

Chez nous, un rapide survol des annonces et offres d’emploi donne une idée de la réalité du terrain: à peine deux annonces sur près d’une centaine pointent le caractère autistique dans les critères de sélection des candidats.

Diagnostiqué Asperger dans la foulée du diagnostic de son fils, Frédéric Vezon est un « serial entrepreneur » en France et au Canada. Avec le soutien d’un fonds d’investissement, il a lancé il y a quelque mois une société de consultance qui emploie aujourd’hui une quinzaine de personnes toutes atypiques. La société s’est spécialisée dans l’intelligence artificielle, le big data ou la cybersécurité, autant de branches où l’expertise des atypiques tient presque du cliché. « Nos clients font partie du CAC 40. Et le nombre de nos consultants devraient doubler ou tripler dans l’année tant la demande est forte« , se réjouit Vezon. D’autres sociétés de ce type voient le jour des deux côtés de l’Atlantique.

En Belgique, la société anversoise Paaswerk repose sur le même modèle de consultance. Ses consultants ont notamment travaillé sur la mise au point des portiques de sécurité de la Stib. Paaswerk mène pour l’instant une mission de recrutement pour des agents de sécurité spécialisés dans le screening par rayon X.

Crainte

Mais, il faut le reconnaître, l’autisme, plus encore sans doute que d’autres handicaps, fait peur dans l’entreprise. « On a le sentiment que pour les personnes à mobilité réduite, on sait ce qu’il faut faire pour faciliter leur intégration. Le handicap mental ou psychologique impressionne beaucoup plus, comme si c’était potentiellement dangereux« , constate Horiot.

Et comme pour l’enseignement, le principal frein à l’embauche de personnes neurodivergentes est à la base: comment les trouver? Il n’existe aucune base de données couplées aux compétences spécifiques.

« Nous réfléchissons différemment, cela ne fait pas de nous des singes savants. »

Josef Schovanec
 

« Le schéma de recrutement classique, annonce-CV-entretien, ne nous convient pas. Il faut trouver un autre cheminement« , affirme Schovanec. Un recrutement spécifique pour des profils du Spectre chez Microsoft s’est révélé un échec par manque de candidats, rappelle Vezon. « Les entretiens d’embauche, c’est un jeu de dupes foireux: on mesure les compétences sociales et pas les capacités réelles propres« , martèle Delcoux.

On l’a dit, l’autiste a peu de filtres, son discours est plutôt cash et il ne peut dissimuler. Difficile dans ces conditions de réussir un entretien où il faut se présenter sous son meilleur jour, quitte à enjoliver les choses. « On ne peut pas compter sur un sentiment de compétition des autistes pour se mettre en avant. Nous n’avons, la plupart du temps, pas conscience de nos performances ni de sentiments de fierté. Pourquoi devenir manager? Pourquoi gagner plus d’argent? », s’interroge Schovanec. « Un candidat consultant en cybersécurité s’est révélé un expert redoutable en bolckchain; il avait classé cette compétence parmi ses hobbys…« , se souvient Vezon.

Réseaux sociaux

Dans une société de plus en plus connectée et que l’on dit aussi de plus en plus autiste dans la mesure où chacun se replie sur soi, les atypiques pourraient trouver davantage leur place. Les réseaux de communication leur donnent en tout cas des outils complémentaires. « Les e-mails, Skype ou les réseaux sociaux offrent de nouvelles perspectives à ceux d’entre nous pour lesquels la communication verbale directe est un problème, reconnaît Schovanec. Mais à condition d’être capable ou d’avoir appris à écrire un mail. » Ces outils permettent évidemment davantage de télétravail aux personnes atypiques, ce qui leur évitera de devoir affronter les transports en commun, le bruit, la promiscuité et le changement d’environnement. Autant de facteurs de stress et de perturbation. « Internet est aux autistes ce que la langue des signes est aux sourds« , affirme Hugo Horiot, qui relaie la rumeur selon laquelle Wikipedia est largement contrôlé et géré par des autistes.

Quant aux réseaux sociaux, et Facebook en particulier, nos témoins restent circonspects. « Même s’il a été créé par Zuckerberg pour résoudre certains problèmes de communication, il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, le réseau est surtout devenu un outil narcissique dans lequel nous ne nous retrouvons pas du tout« , conclut Schovanec.

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